mardi 31 mars 2009

la tragédie d'Abidjan

Dimanche 29 mars, les éliminatoires jumelées Coupe du monde-Coupe d'Afrique des nations 2010 achèvent leur première journée. Dix rencontres sont disputées dans tout le continent. La mort sera au rendez-vous au stade Félix Houphouët-Boigny à Abidjan.
Des milliers de spectateurs en quête de billets pour le match Côte d'Ivoire - Malawi. Vingt-deux d'entre eux meurent écrasés lors d'une bousculade aux portes du stade. Plus de 130 sont blessés et hospitalisés. Pourquoi ce drame? Qui en sont les responsables? Comment a-t-il pu se produire?
En Afrique, depuis l'an 2000, les tragédies du football se ressemblent. Et plus particulièrement, leurs théâtres. On se souvient :
* 11 avril 2001 : bousculade aux portes de l'Ellis Park à Johannesburg, à l'occasion du match Orlando Pirates 6 Kaizer Chiefs. Des spectateurs en quête de billets sont repoussés par les forces de l'ordre : 43 morts
** 29 avril 2001 : bousculade au stade Mobutu à Lubumbashi : 14 morts;
*** 9 mai 2001: panique au National stadium d'Accra suite à la suite de jets de grenades lacrymogènes par la police : 126 spectateurs meurent écrasés.
****Juillet 2001 : désordre à l'occasion d'un match de Coupe du monde Zimbabwe - Afrique du Sud au stade de Harare, 13 morts.
Arrêtons là la liste macabre...
Le stade Houphouët-Boigny date de l'année 1969. Il a été édifié pour abriter les premiers Jeux de l'Amitié en 1961. Propriété de l'Etat ivoirien, il est géré par un office dépendant du ministère de tutelle. Il est loué à la Fédération ivoirienne de football (FIF). Son exploitation n'est couverte par aucun contrat d'assurance (aucun recours juridique en conséquence pour les familles des victimes de la tragédie). Au fil des ans, le "Félicia" est devenu une enceinte enclavée du fait de la poussée de l'urbanisation environnante. Il est mal desservi et surtout il manque de voies de dégagement. Bien que plusieurs fois toiletté, son architecture est aujourd'hui dépassée. Elle ne correspond plus aux normes établies par la FIFA et notamment celles imposant l'évacuation rapide des spectateurs, la suppression des escaliers en béton au profit de larges rampes et la multiplication des portes d'accès. Ses tribunes populaires sont dénuées de tout confort. Les spectateurs s'entassent sur des travers en béton, sous un soleil de plomb, restent bloqués de longues heures et ne peuvent accéder aux toilettes quand celles-ci existent....Faut-il préciser que les VIP et les notables ont droit, eux à des fauteuils individuels dans la tribune d'honneur climatisée et peuvent accéder par un ascenseur aux salons où, à la pause, sont installés à leur intention des buffets bien garnis.
Le calvaire des spectateurs commence avec l'acquisition du billet d'accès au stade. La billeterie est, comme l'a constaté la FIFA, gérée partout en Afrique, de façon empirique et anti-sécuritaire. La quête aux billets est parfois génératrice de tragédie. En effet, sous prétexte d'éviter la confection et la circulation de faux billets, les organisateurs des rencontres refusent d'organiser la pré-vente. Ils n'ouvrent les guichets des stades que le matin du match et mettent souvent en vente plus de billets qu'il n' y a de places effectives. Conséquence, à l'occasion des matchs à enjeu, il y a un afflux non maîtrisé de candidats- spectateurs.. Faute d'information sur l'état du remplissage du stade, ceux-ci se ruent vers les barrages (quand ils existent), parviennent à les franchir et atteignent les grilles d'entrée. Ceux-ci qui réussissent à se procurer le précieux sésame (parfois, ils sont rackettés par les membres des corps habillés) n'ont toutefois aucune garantie d'accéder aux gradins et de pouvoir s'y installer : les places assises ne sont pas numérotées! Quant aux malchanceux, leur dépit et leur colère peuvent dégénérer en émeute : c'est le scénario de la tragédie du "Félicia". Il arrive que certains spectateurs parviennent à resquiller et déferler vers des tribunes surchargées qui débordent alors et peuvent s'effondrer.
Bien sûr, on peut, à l'exemple de ce qui se passe en Europe ou en Asie, mettre en circulation des billets difficilement falsifiables et organiser leur vente assez longtemps à l'avance (en ville, par le biais des clubs ou des associations sportives) mais cela reviendra plus cher aux organisateurs qui appréhendent le manque à gagner d'autant que certains d'entre eux ne se privent pas de commercialiser directement des quotas de tickets qui leur sont attribués! Tant pis pour la sécurité.
Tous les organisateurs (dirigeants de clubs ou officiels de la fédération) se complaisent dans l'à peu-près et refusent de recourir aux services de stadiers qualifiés. Ils font appel à des bénévoles ou à des vacataires quand ils ne laissent pas faire la police. Mises en cause dans maintes catastrophes, les forces de l'ordre n'échappent pas à la critique. Policiers, gendarmes ou militaires en tenue de combat, armés jusqu'aux dents investissent régulièrement les stades. Chargés en principe des tâches de sécurité, ils se comportent en armée d'occupation se substituent à l'autorité sportive, imposent leur loi. Ils n'hésitent pas à réprimer brutalement les foules, se comportent en supporters ultra-chauvins..Ils se transforment en forces d'insécurité. La liste des bavures qui leur sont imputables est longue (cf. les 126 morts du stade d'Accra en 2001). Une de leurs armes favorites est le tir de grenades lacrymogènes. Lancer de tels projectiles sur une foule contenue dans une enceinte ou aux abords est purement criminel (la FIFA l'interdit). Le gaz ne tue pas mais il provoque la panique qui, elle, tue! Mais faut-il s'en étonner quand on sait que les forces de l'ordre dans la plupart des pays africains ont une culture de la répression et non de la prévention? Face à une foule qui s'agite, le premier réflexe est de réprimer, même dans un stade. Plus que jamais, le football est vécu comme une "guerre ritualisée".
Les organisateurs du match Côte d'Ivoire - Malawi ne peuvent pas se défausser sur les forces de l'ordre "défaillantes". Ils sont responsbles de la vente des billets et de la sécurité. L'enquête en cours fera-t-elle pleinement la lumière sur la tragédie? Il faut l'espérer pour la mémoire de toutes les victimes. Il faut aussi exiger que toutes les consignes de la FIFA sont appliquées. Et enfin que les autorités ivoiriennes se décident à doter la mégapole d'Abidjan d'une enceinte sportive signe de ce nom.

Faouzi Mahjoub